Après l’avoir complètement abolie, l’architecture moderne ayant évacué la question au profit des principes édictés par les CIAM[1], la rue revient aujourd’hui en force dans le paysage contemporain de nos villes.
En effet, ces dernières années, nombre de projets, notamment de logements redonnent une place prédominante à une organisation urbaine classique autour d’un des éléments de base du vocabulaire urbain : la rue. Nous pouvons analyser rapidement ce qui nous semble être les causes de ce retour aux fondamentaux pour employer les termes de Rem Koolhaas[2], ou de cette projection optimiste vers une forme éprouvée. Les modernes ont affirmé le besoin hygiéniste d’espace, de verdure, de hauteur, prônant la disposition de grands objets solitaires dans un vaste paysage irrigué de routes et autres infrastructures alors en plein développement au cours de la seconde moitié du 20ème siècle afin d’accompagner l’incroyable essor économique et démographique du baby boum et des Trente Glorieuses. Or cet urbanisme, en France très souvent relégué aux quartiers de banlieue s’est vu amputé de tout ce qui l’irriguait alors : services, commerces, transports en commun de qualité, logements confortables… Avec cet appauvrissement global s’accompagnant d’un appauvrissement de la population avec un contexte social de crise – chômage, pauvreté, crise identitaire – ces quartiers de banlieue ont alors sombré dans la relégation et parfois la rébellion. L’architecture généreuse et pleine de bonnes intentions du début ayant fait place à des quartier offrant une image d’exclusion et de déconnexion des centres urbains hyperconnectés. Ce dynamisme des centres urbains est fortement lié à l'archétype urbain de la rue, espace d’échange, lieu de vie et d’activité, espace central de la vie en communauté. En parallèle, le vide sans vis-à-vis offert par les grands ensembles apparaît alors comme un facteur d’exclusion sociale et économique. Dans un contexte de crise économique et identitaire, les architectes et les habitants – notamment à travers des projets d’habitat participatif – réaffirment aujourd’hui leur intérêt pour cet élément fondamental de nos villages et de nos villes, la rue. Fini l’individualisme pavillonnaire, le chacun chez soit et sa parcelle égoïstement acquise – qui grignote peut à peu les terres agricoles disponibles – voilà venu le temps de projets qui revendiquent une certaine idée du vivre ensemble, qui proposent un retour aux fondamentaux, où les citoyens vivent dans l’urbain en communauté. Cette morphologie très classique et éprouvée de tous temps marque également un retour de l’interaction sociale, de l’échange, de l’attention portée à l’autre, et contredit tout rêve individualiste de société. A l’heure où faire cause commune face aux nombreuses crises que nous vivons devient un moyen essentiel de survie, la rue refait ainsi son apparition peut être pour mieux contredire les modernes qui en voulant changer le monde insalubre des villes anciennes voulaient également agir sur le comportement humain. L’époque présente leur démontre que la planification des comportements inspirée de l'hygiénisme n’est décidemment pas un concept que l’on peut couronner de succès. [1] CIAM : Congrès internationaux d’architecture moderne, notamment le CIAM IV de 1933 exposant les principes fondateurs de l’urbanisme et de l’architecture moderne, reprise par Le Corbusier en 1941 dans La Charte d’Athènes. [2] Koolhaas, Rem, Elements of architecture, Editions Tachen, 10/2018. |