Pour de plus en plus de personnes, le travail conduit aujourd’hui à ce que l’on nomme épuisement professionnel ou burn-out. Le monde de la vitesse décrit très bien par Paul Virilio demande en effet d’accélérer toujours plus les cadences de production, de faire toujours plus, plus vite, mieux et moins cher. Cet espace mondialisé ultra-concurrentiel a plongé l’humanité dans une course effrénée à la performance sous toutes ses formes, et le monde du travail représente peut être le lieu paroxystique de ce nouveau paradigme.
Le travail est par nature, et par étymologie même, un asservissement. Le mot travail vient du latin tripalium, nom qui désignait un instrument de torture sous la Rome antique. Travailler était réservé jusqu’à l’époque industrielle aux classes populaires – aussi appelées très justement les classes laborieuses. La noblesse ne travaillait pas et se consacrait uniquement au commerce des hommes et aux goûts raffinés pour les arts - il faudrait se demander ici si les choses ont vraiment évoluée aujourd'hui. Balzac montre très bien cette séparation en deux camps au sein d’une même société dans Illusions perdues[1]. Dans ce récit composant la Comédie Humaine, il distingue la haute société installée historiquement sur les hauteurs d’Angoulème, qui domine le village de l’Houmeau en contrebas de la vallée, habité exclusivement par les classes populaires. Ces deux mondes ne communiquent pas, et la liaison de madame de Bargeton et de Lucien est décrite comme une suprême transgression, en risquant d’un côté de nuire à la réputation d’une noble personne contemplative, en offrant de l’autre la possibilité à un jeune homme du peuple laborieux de s’élever socialement de manière inattendue. L’époque industrielle a quant à elle vu naître une revalorisation du travail a travers la notion de progrès. La noblesse et la haute société ont pris part à la grande aventure du monde moderne. Les classes populaires sont toutefois restées au rang de l’asservissement, et les cadences se sont peu à peu accélérées avec l’accélération d’une économie devenue de plus en plus concurrentielle et dans laquelle il faut rester compétitif. Aujourd’hui, chaque personne, chaque travailleur ou actif est un objet en soi de compétitivité. Productivité, diplômes, physique, santé, âge, tout rentre en ligne de compte pour être le premier, celui qui va dépasser tout le monde pour enfin réussir. Les unes des magazines donnent des conseils pour être en pôle position dans cette grande compétition de l’espace mondialisé : Comment devenir numéro 1, les villes où il faut vivre, comment être plus productif au travail… Bien évidemment ce déferlement d’obligations à être sans interruption la ou le meilleur ont des conséquences sur la santé et l’endurance de certaines personnes – alors jugées faibles et n’osant de ce fait pas avouer leurs difficultés. Le point de rupture a lieu alors quand cette pression n’est plus supportable. L’employé constamment soumis à la pression de l’économie de marché décroche soudainement et se voit répudier dans les abîmes d’un monde où la chute est le ralentissement entraîne la chute. [1] Balzac, Honoré de, Illusions perdues |